
Son bras se tendit vers la table basse. Il attrapa maladroitement le verre qui y trônait. Le liquide amer coula dans sa gorge et il soupira de bien-être. L’ivresse appelait l’ivresse. Il était déjà complètement éméché.
Il exaltait. Cette sensation de flotter dans son propre corps, de ressentir les choses de manière à la fois très éloignée et trop précise. Ses sens étaient exacerbés par la boisson. La pénombre, le cuir froid sous son corps fiévreux, la décoration insipide de la pièce, l’odeur moisie du vieux papier-peint, les éclats de voix émanant de plus loin. Il ressentait avec acuité et distance chaque atome qui parcourait la pièce. Ses idées s'envolaient et il s'oubliait avec délice.
Demain est une autre vie.
Oui, il s'oubliait et c'était divin. Ce soir, il était un autre Oscar. Pas Oscar, le mannequin, le provocateur, l’homme charmant qui se fait tout gentil dans la presse - Mais Oscar, l’amoral, l'alcoolique, le drogué, le violent. Toutes ces identités, toutes ces facettes et toutes ces possibilités. Il était tout ça à la fois - Que de choix !
Que la folie m'emporte.
Il était toutes ces identités et il l'assumait. Il se voyait comme un diamant, aux multiples faces polies par le temps et l'expérience. Un diamant éclatant et terne par endroit, un diamant pur et ébréché, imparfait. Voilà ce qu'il était : imparfait. Mais il était son idéal. Ou presque. Après tout, on a tous des peurs.
Et parmi ses multiples vices, il y avait l'alcool. L'alcool bienfaiteur qui lui permettait de s'évader du carcan de son être, de se libérer de toutes ces pensées qui ne cessaient de virevolter dans son crâne. L'alcool qui brouillait ses idées et anéantissait sa retenue. L’alcool qui libérait la bête qu’il était et qu’il assumait être.
Fuir le temps d'une nuit…
Lâcher totalement prise. Laisser la place à son subconscient et agir sans retenue. Laisser le pire de son être prendre totalement le contrôle. Parce qu'il avait beau prôner une vie faite uniquement de plaisirs, tant de choses l'entravaient - son nom, le poids de la presse, la réputation à tenir sous les projecteurs. Des contraintes qui lui donnaient l'envie de s'échapper temporairement.
Parfois en se laissant moisir jusqu’au plus profond de son être. Parfois en se laissant aller et en faisant fi des circonstances.
Avec pour unique coup de pouce un gras bakchich.
... Et s'oublier jusqu'à l'aube.
Jusqu'au lever du soleil, ou jusqu'à ce que le sommeil gagne son corps, il ne serait pas responsable de ses actes. Il serait lui et quelqu'un d'autre, il serait ce qu'il lui plairait d'être. Sans morale. Sans retenue. Sans crainte.
Et, le lendemain, une fois sobre, il redeviendrait Oscar L. Warren, ce cher mannequin un peu particulier au physique apprécié. Mais pour d'autres, ceux qu'il aurait pu croiser dans l'ombre de la nuit, il aura été Oscar L. Warren, un homme violent et ivre. Un tordu à éviter.