
Bon, on va laisser le dé décider si Tou suit Pom ou pas

Pile : Oui
Face : Non
Il est parfois préférable de ne pas se lier
Pour éviter de regretter.
Une fois. Juste une fois. Arrête-toi et réfléchis à ce que tu fais. Incapable de le faire, Pom répondit évasivement à Toulouze. Il verrait bien où ils allaient. Les mains dans les poches, avançant lentement, ils se rendirent en dehors du parc empruntant diverses rues et ruelles. Le nécromancien avait le sentiment que la nuit allait l’avaler et qu’il allait disparaître, il sentait les battements de cœur de l’autre homme et il sentait les siens. Est-ce qu’ils étaient vraiment totalement et irrémédiablement morts ? Il ne parvenait pas à le comprendre. Son sang coulait, son cœur battait, sa respiration existait. Il pouvait tomber malade ou souffrir de la faim et de la soif. Il pouvait se changer en poussière. Ce qui peut mourir doit bien vivre, un peu, non ?
Le nécromancien s’engouffra dans une ruelle d’un des quartiers les moins bien fréquentés de Tokyo. Ici la population était nombreuse pendant la nuit mais aucun des groupes ne sembla faire attention à la leurs présences. Non seulement parce que Pom était un habitué des lieux, mais parce que deux hommes marchant ensemble n’attiraient pas tellement l’attention. Ils auraient été deux jolies filles, la situation aurait été totalement différente.
Ils arrivèrent près d’un immeuble, un immeuble où le trois quart des murs grisâtres avaient été recouverts par de la peinture à bombe dans des fresques d’art de rue aux messages virulents et aux couleurs chatoyantes. La porte du sas d’entrée était fermée, verrouillée par une épaisse chaîne et un gros cadenas bloqués par le sort d’un pouvoir de mangemorts. Passant dans la ruelle à droite de l’immeuble, Pom poussa une fenêtre grisâtre et s’engouffra dans une pièce qui avait dû être une chambre.
Toulouze le suivait-il toujours ? Il l’observa, oui. Laissant ses bottines écraser les carcasses de seringues et les cadavres de potions et de bouteilles, Pom se dirigea vers l’entrée de l’appartement sale. Aucune porte d’entrée, elle avait été défoncé, retiré et jeté un peu plus loin. Les lieux ressemblaient à un univers post-apocalyptiques. Ce n’était guère encourageant et bon nombre d’êtres auraient craints d’être agressé en ses lieux. Le nécromancien s’y sentait en sécurité. Ce n’était qu’une planque, et ils étaient rares à en connaître les accès. La plupart n’était que des drogués qui ne quittaient jamais le premier étage. L’un de ceux qu’ils croisèrent, défoncé et inconscient de leur présence dans le couloir. Pom se pencha vers et déposa sa main sur son visage, un peu de bons sentiments pour de bons rêves, ça ne lui coutait qu’un peu plus d’énergie. Puis, de toute façon, Toulouze ne comprendrait sans doute pas son geste.
Le nécromancien ouvrit la porte d’un escalier de service, ceux avec un grillage devant et sans porte, qui fonctionne même quand l’électricité est coupée. Elle ne l’était pas. Il aurait préféré monter par l’ascenseur mais il doutait que l’état de son camarade ne le permette.
Un couloir et une porte menant vers un lieu que lui seul connaissait. Pourquoi conduire cet homme ici, alors qu’il avait tout pour s’en méfier ? Parce que Pom savait – ou croyait savoir du moins – que Toulouze ne se souviendrait pas de leurs rencontres. Aussi, il pouvait se permettre de prendre soin de lui. De cet enfant aux moues boudeuses et au regard assassin.
Claquant l’élastique à sa main, Pom attrapa une émotion de bonheur intense qui traînait dans le coin, la relâchant pour faire apparaître une petite boule dorée à côté de lui qui éclaira les lieux. Et sortant une clé de sa poche, il ouvrit un appartement. Ce n’était pas le sien. Ce n’était pas un lieu privé. N’importe qui aurait pu y rentrer. N’importe quelle personne pouvait se l’approprié.
A l’intérieur de l’appartement, une partie d’un mur était détruit et donnait directement dans le vide. Ils auraient pu sauter, directement, en bas de la rue. Pom passa dans une chambre à côté. Le lieu était particulier. Etrange, mais n’avait plus rien à voir le reste de l’immeuble. Les lieux étaient assez propres, malgré quelques seringues usagées et potions terminées traînant sur le bureau. Un cendrier, fait à base d’une canette, se trouvait également sur le bureau.
Il n’y avait aucun lit. A place, une plante, grimpante, un amas de mousses confortables, irréelles, produits de potions et d’expériences. Le plafond était coloré d’un bleu nuit, parsemé d’étoiles qui semblaient légèrement se mouvoir et d’une lune semblable à l’extérieur, dans le même cycle. Un mur entier était un aquarium où des poissons irréels naviguaient alors que des papillons de papier voletaient dans le ciel et vinrent rapidement virevolter autour de lui.
Des couleurs, plutôt pastels, bien que quelques touches chatoyants étaient visibles. Pom se rendit en direction du bureau, ouvrit un tiroir et en sorti une petite fiole dorée qui se mua en une multitude de couleurs au contact de la main du nécromancien. Ce dernier se retourna en direction de Toulouze. Ce n’était pas une potion de sa propre fabrication, bien que l’émotion s’y trouvant ait été fabriqué par lui. Pom n’était pas assez compétent pour fabriquer des potions aussi efficaces que celle qu’il tenait à la main. Il sorti également une potion de sommeil.
« Je ne t’obligerai pas à les prendre, mais si tu le fais, tu dormiras d’un sommeil de rêves tranquilles. Le temps d’un instant, tu pourras être bien. Non pas comme lorsque tu bois l’une des saloperies, mais comme-ci, tu vivais une autre vie, un autre moment, un moment de pure joie et d’extase et si tu t’endors avec ce sentiment, tes rêves seront merveilleux. »
Claquant l’élastique à son poignet, Pom demeura à une distance raisonnable de Toulouze. Son anglais raisonnait, brisant le silence. Il se sentait soulagé des sentiments que l’autre ressentait, mais il n’était pas à ce point stupide pour avoir oublié leur dernière rencontre. De toute façon, le nécromancien se méfiait de quasiment tout le monde.
Il s’assit, entre des lianes, dans ce qui aurait pu être un confortable fauteuil ou un hamac. Pom aimait les mondes végétaux, c’était visible dans cette chambre.
« Je dois t’être très agaçant, je peux le comprendre. Je le suis. » Dit-il brutalement, dodelinant de la tête. Sa main s’ouvrant pour faire apparaître un petit hippocampe coloré d’un bleu clair. L’animal se mit à nager dans le vide, semblable à bulle d’émotion, les pouvoirs de Pom s’étendaient. Peut-être trop à son gout. Il n’y pouvait rien.
« J’ai envie de m’amuser, un peu. Autant que je suis fatigué, alors je risque de m’absenter. Ici, tu es en sécurité. Moins qu’à l’agence, mais … » Tu ne voulais y aller. Compléta mentalement le spectre à l’apparence de jeune homme. Il sourit, goguenard, haussant des épaules : « tu es dans un sanctuaire. Personne ne viendra te déranger ici. Tu peux tout casser, t’y reposer, y emmener qui bon te semble. Il y a des potions, un peu partout, de la nourriture déshydratée. L’eau est potable et la douche chaude. Si un jour, tu te perds : tu peux te retrouver ici. Si tu fuis, tu peux t’y reposer. Même dans une course, on a besoin de repos, l’Inconnu. »
Une part du nécromancien aurait aimé que la rencontre ne s’achève pas ici. Il y avait un lien entre ce type et lui, un lien qu’il ne comprenait pas plus qu’il ne comprendrait le lien l’unissant à cette inconnue qu’il avait croisé aux archives. Une part de lui-même aimerait comprendre. Une autre préférait ne pas savoir. Continuant de jouer avec l’animal créé en illusion, Pom murmura simplement, « je ne voulais pas t’effrayer, petit. »
J Je ne te hais pas.
C'est déjà ça.
La respiration lente de l’endormi est agréable, elle me rappelle des souvenirs lointains dont je ne parviens ni à me faire une image, ni à entendre le son. Ce sont des souvenirs aussi brouillés qu’une page de parchemin écrit à l’encre laissée trop longtemps au soleil après avoir reçu une pluie torrentielle. Le souvenir me reviendra. Il est juste trop lointain et je n’ai simplement pas la tête à ça. J’ai reposé les potions, sans m’inquiéter. Est-ce que je devrai ? Penser que ce gars est un pilleur qui va tout saccager et voler ? Ce n’est pas bien grave. Ici, c’est un sanctuaire. D’autres pièces de cet immeuble le sont. Toutefois, si d’autres devaient s’en emparer, j’irai ailleurs. Je trouverai un endroit, un autre plaisir, un autre moment.
Mon pas traînant s’est rapproché et je l’ai observé. Ce n’est pas le monstre qui hante mes cauchemars, c’est un enfant perdu. Il me rappelle Alex, ils sont tellement différents pourtant. Ils semblent si forts et sont si fragiles. Dans ce royaume imaginaire où on est arrivé, je ne puis être le Peter Pan pouvant les aider. J’en suis profondément désolé. Il me rappelle un ami, un ami que j’aurai perdu. Il me rappelle, aussi, un enfant. J’ai été aimé. J’ai été marié. J’ai eu des enfants. J’ai fait naître un enfant. Je n’ai pas à me morfondre sur mon passé. Parfois, je me demande presque pourquoi ma vie n’a pas été assez comblée pour me retrouver ici. J’ai eu tout ce que je devais avoir, et peut-être n’en ai-je pas profité assez, mais je ne peux que m’en prendre à moi-même. Je ne suis pas un ancien esclave. Je n’ai pas vécu une grande guerre. Je ne suis pas une petite coccinelle coincée, une cabossé d’un accident de voiture, une femme mal dans sa peau ou une gamine trop timide.
Je ne suis pas lui. Si je fume, si je bois, si je fuis, si j’oublie, ce n’est pas pour les mêmes raisons. Je ne connais pas les siennes. Peut-être, j’en doute. Il est juste profondément malheureux, et ne sait plus comment agir. Je le sens, je le vois. Comment agir, quand on a passé notre vie à craindre un groupe de personne ? J’aurai pu être son maître, dans une autre vie. J’aurai pu être celui qui ordonne, sans réfléchir. J’aurai été celui qui puni, celui qui nourrit. Celui qui confond espoir et vérité, être humain et objet. J’aurai été un monstre et j’aurai mérité sa haine.
« Enfant. »
Je soupire, davantage pour m’en convaincre, en lui adressant qu’en le pensant. Je ne sais pas ce que je pense de ce type, mais une part de moi-même me soupire que je ne veux plus le croiser. Qu’il apporte davantage de questions et de réponses dans ma vie, et qu’il n’est pas simple.
Je quitte les lieux, tranquillement, d’un pas trainant. Je referme la porte d’entrée, sans la verrouiller, les risques sont minimes qu’un inconnu y entre. Ce lieu est plus sécurisé dans un sens qu’une des chambres de l’agence. Je retourne rapidement à l’extérieur, je passe par le grillage et je rejoins un groupe de passants. La première fête, je l’ai oublié. J’ai tendance à vite me laisser distraire. Et autant dire que croiser des passants, c’est le meilleur moyen que ça arrive. On rit, on plaisante, on échange, une cigarette artisanale tourne, une potion colorée, une grande pièce, de la musique. Le tamtam répété d’un rythme endiablé. Les bavardages, les échanges, les rires, le soleil qui se lève et s’endormir. S’endormir dans le salon du bar d’Eden, s’endormir avec un sommeil calme. Et laisser le cauchemar revenir. C’est sans doute la conséquence de mon nouveau pouvoir. De ce pouvoir qui se développe. Je dois apprendre à le contrôler. Je me réveille, avale une nouvelle potion, de la transpiration coule sur mon front.
Le sommeil tarde à venir, je pense à cet inconnu, ce Toulouze et je sens de la peine pour lui. Ou sa peine, je ne sais plus.
Je me réveille avec des émotions non identifiées que je tricote pour altérer. Un sourire, une clope, et une fiole dans la main, je sautille sur mes deux pieds. J’attrape mon téléphone. Merde, je suis en retard. Je n’ai pas oublié cette rencontre, je n’y pense juste pas.
J'ai pas le temps, pas le temps de le perdre. Peut-être qu'on se recroisera, peut-être pas, la vie est faîtes de choix, de pas et d'hasard.